a wave she came and washed away all the ground i was standing on (freja)

Depuis peu avant Noël, Alice était au courant que Woody était son père. Si l’aîné des Rutkowski avait été nerveux à l’idée de le lui annoncer, confronté à ses propres peurs, à ses propres projections, craignant que sa fille ne soit déçue que ce soit lui, son paternel, il en fut tout autre. Alice avait été folle de joie, d’avoir un papa, mais aussi que ce papa, ce soit lui. Il est vrai que depuis l’automne, tous les deux avaient passé de très beaux moments. Il n’aurait pas dû avoir tant d’appréhensions. Il aurait dû savoir qu’Alice voyait en lui quelque chose que lui ne voyait pas. Telle mère, telle fille. Tout de même, Woody continuait de se mettre une grande pression qui pesait lourd sur ses épaules. En ce qui concernait la garde d’Alice, ils n’en étaient pas encore rendus au point où la jeune fille venait passer beaucoup de temps chez lui. Elle n’avait pas encore passé une seule nuit à la maison du trentenaire. Sara aurait probablement été ouverte à l’idée, c’est lui qui n’osait pas, lui qui n’était pas prêt. Quand ils se voyaient, Sara était là, ou alors il ne s’agissait que de quelques heures rien que tous les deux. Rien de trop exigeant pour Woody, qui ne se sentait pas encore capable de gérer une enfant, par lui-même. Il n’avait pas confiance en ses capacités. Cependant, il voulait que ça change. Il souhaitait cumuler les moments et les souvenirs précieux avec sa fille, et pour ça, il allait devoir s’autoriser un peu plus de latitude. C’est ce qui le porta jusqu’à la bibliothèque ce matin, où il dégota deux-trois livres sur la paternité, sur le développement de l’enfant, sur l’éducation, un peu tout ça, même s’il n’existait sûrement pas de formule miracle qui lui apprendrait à être père en quelques chapitres. Sa canne d’une main, ses livres dans l’autre, pressés contre sa hanche, Woody s’en allait vers le comptoir lorsqu’il passa devant l’ère des enfants où l’heure du conte débutait. Parmi les adultes, tout près de la grande vitre, se tenait Freja, le regard consultant son téléphone portable. Il hésita un moment, levant la main qui tenait sa canne afin de tenter de replacer ses cheveux un peu décoiffés, qui commençaient à pousser un peu trop, question de ne pas avoir l’air complètement à la dérive, en pleine déroute. Il se reposa sur sa canne et s’avança vers Freja. Il n’aurait pas pu continuer sa route en l’ignorant. Il ne pouvait jamais l’ignorer, Freja. Ni dans son champ de vision ni dans son cœur. « Salut, Freja. » Dit-il alors qu’il était tout près, pour s’annoncer. Elle leva les yeux vers lui et il lui adressa un sourire, du coin de ses lèvres, cachées par sa barbe. « Zoé et William sont là ? » Demanda-t-il en balayant les enfants assis du regard.

En ce moment, être mère célibataire te mène la vie dure. Bien sûr, Milo fait partie du portrait mais c'est toi qui gardes William la plupart du temps et surtout, il y a Zoé. C'est plutôt cette dernière qui te donne du fil à retordre dernièrement. Sans doute à cause de son âge et des nouveaux apprentissages qu'elle acquiert. Tu devrais probablement en parler avec Tahlia qui vit les mêmes étapes au même moment que toi avec Thaïs. Bref, tout ça pour dire qu'à chaque sortie, tu appréhendes un peu les réactions de ta fille. Néanmoins, cela ne suffit pas à t'empêcher de prendre tes enfants et d'aller découvrir de nouvelles choses. Tu n'as jamais eu peur de l'inconnu, de l'imprévisible, et ce n'est pas en devenant mère que ça a changé, heureusement. Aujourd'hui, tu as donc décidé, tout naturellement, d'aller à la bibliothèque où ils font régulièrement des lectures de contes. Ce n'est pas la première fois que tu t'y rends mais c'est la première fois que tu prends tes deux enfants, par contre. William est assez grand pour en profiter, à présent. Et pour se tenir tout seul, assis, dans le cercle destiné aux enfants. Zoé, comme toujours, prend soin de son petit frère ou du moins, jusqu'à ce que sa patience le lui permette. Toi, tu te tiens un petit peu en retrait, le nez sur ton téléphone à cause d'un problème au travail que tu traines depuis quelques jours et qui ne semble pas vouloir se régler. C'est la voix de Woody qui te ramène à la réalité. Relevant la tête vers lui et rangeant ton téléphone, un sourire se dessine immédiatement sur ton visage. « Salut toi. » Réponds-tu avant de tourner la tête vers tes enfants en entendant la question de l'australien. Tu hoches la tête, les montrant du doigt. « Juste là.. » Zoé tient la main de son petit-frère et lui explique discrètement ce qu'elle voit sur les images. Jusqu'ici, elle est bien mignonne mais tu redoutes que ça ne dure pas. Qui sait, tu seras peut-être bien étonnée. « Et toi ? Tu es venu chercher de la lecture ? » Demandes-tu en jetant un coup d'oeil à ses livres sans pouvoir en voir le titre. « Tu as laissé pousser ta barbe... et tes cheveux. » Remarques-tu en souriant. Ça lui va bien. Tout lui va bien. Il est toujours beau Woody, quoi qu'il fasse.

Ça lui faisait toujours le même effet, à Woody, de voir le sourire de Freja se dessiner sur son visage dès qu’elle levait le regard vers lui. Et, bien souvent, ça lui soutirait un sourire à lui aussi. Encore une fois aujourd’hui. Le trentenaire suivit la direction dans laquelle pointait le doigt de la norvégienne, et il hocha la tête en voyant Zoé et William, main dans la main. « Ah, regarde-les … How cute. » Il n’avait jamais été du genre à laisser son cœur fondre devant des enfants, Woody, il avait toujours eu l’air plus ou moins détaché. Il avait beau avoir toujours voulu des enfants au fond de lui, il n’était pas du type gaga pour autant. C’est sans doute la venue d’Alice dans sa vie qui brisait un peu plus encore sa carapace. Le fait qu’il s’agisse des enfants de Freja y était aussi pour quelque chose, forcément. La brunette reporta son attention sur l’aîné des Rutkowski, jetant un coup d'œil à ses livres qu’elle questionna. Un peu embarrassé, Woody les dévoila un peu en les levant entre eux un instant. « Hum, ouais, je sais pas ce que ça donnera comme résultat, mais j’essaie de m’aider un peu … » Un rire gêné et discret s’échappa d’entre ses lèvres, avant qu’il ne plonge son regard dans celui de son ex petite-amie alors qu’elle commenta son look capillaire. « Tu dois trouver que j’ai l’air de me négliger. J’te rassure, je suis pas au bord du précipice. C’est juste moins compliqué comme ça. Moins de rendez-vous chez le barbier. » C’était surtout ça qui le fatiguait, en fait, de devoir gérer son agenda, pour son travail, pour ses propres rendez-vous chez le physiothérapeute, chez le neurologue, chez le médecin de famille, chez la travailleuse sociale, et tout le reste, en plus de vouloir se dégager du temps pour voir Sara et Alice. C’était beaucoup, en ce moment, alors que son niveau d’énergie était loin d’être au maximum. « La dernière fois qu’on s’est vus, tu avais pas mal de soucis avec le travail. Ça n’a pas l’air d’être rentré dans l’ordre … ? » Demanda-t-il en désignant son téléphone d’un coup de tête. C’était peut-être pour autre chose, aussi, qu’elle avait eu le nez rivé sur l’écran. Quelque chose de personnel, qui ne le regardait plus, qui sait.