Never can say goodbye (Ciàwana)

Aéroport - Janvier 2024

2023 avait été belle. Marquée par le renouveau, par les retrouvailles avec sa fille, avec Leewana. Pour la première fois depuis longtemps, Ciàn s'était senti serein, apaisé. Complet. 2024 aurait dû continuer sur cette lancée. Mais son coeur, son coeur si malade avait décidé de se rappeler à lui. Il avait failli y rester. D'un fil, il avait failli basculer de l'autre côté. Même s'il était là aujourd'hui, debout, plus ou moins en forme si l'on mettait de côté sa pâleur, sa vie s'apprêtait à prendre une toute autre route. Il devait partir aux Etats-Unis, retrouver l'équipe médicale qui le suivait depuis que son diagnostic était tombé. C'était là-bas qu'il allait se faire soigner. Enfin, soigner était un bien grand mot. Ils allaient tout faire pour le garder en forme, dans l'attente d'une greffe. C'était le flou le plus total qui guettait Ciàn. Mais ce n'était pas les hôpitaux, les médecins et l'épée de Damoclès qui lui faisaient le plus mal. Non, là, c'était son départ. C'était dire au revoir à Maddie, à Lee. C'était d'ailleurs cette dernière qui l'accompagnait aujourd'hui, à l'aéroport. Il avait passé la veille et la matinée avec sa fille, lui promettant de toute manière qu'il était là, malgré tout. En visio. Au téléphone. Par texto. Qu'il serait là si elle souhaitait lui rendre visite aux Etats-Unis. Et qu'il ferait tout pour revenir à Bowen quand son état s'améliorerait. Il ne l'abandonnait pas. Il se mettait juste en retrait. Après avoir fait enregistrer son bagage, il rejoignit Leewana, attendant dans le hall de l'aéroport que son avion pour Townsville soit annoncé. Il restait silencieux, le coeur lourd, incapable de dire quoi que ce soit, craignant que le moindre mot fasse couler ces larmes qui trônaient au bord des yeux. Puis, au bout de quelques minutes, il lâche son regard si noir des écrans et souffla : "J'ai l'impression d'être dans l'un de ces putains de films romantiques où l'on attend la grande course effrénée dans l'aéroport, à rattraper l'être qu'on aime. Qu'est-ce que j'aimerai l'avoir, cette happy end..." Sauf que pour lui, cette happy end n'était pas possible. Il posa son regard sur elle et demanda : "Tu me promets que tu penseras à toi, ok ?" Quand il disait ça,  c'était lui demander de s'autoriser à vivre, à aimer. Ils en avaient suffisamment parlé.

Leewana avait finalement eu l’impression d’être sur son X, que tout finissait par se placer. Elle avait son job et arrivait mieux financièrement parlant, Maddie était devenue grande et vivait sa vie de manière un peu plus indépendante. Même si elle n’aime pas tellement que sa fille vieillit, elle avait peur qu’elle ne parte de la maison. Durant cette année elle avait eu Théo puis il y a eu le retour de Ciàn dans sa vie, son grand amour et avant qu’elle ne comprenne ce qui se passe, elle est retombée dans ses bras, comme si leur histoire était une évidence. Elle a vécu beaucoup d’émotions dans les derniers mois et maintenant, elle allait passer encore par un tumulte d’émotions et de sentiments intenses, elle le sait. Elle a le cœur serré, la boule au ventre et le cœur au bord des lèvres dans l’aéroport. Elle a eu si peur pour Ciàn, elle a cru le perdre pour de bon quand son cœur a décidé de faire des siennes. Elle ne voulait pas lui dire adieu, elle n’était pas prête à le faire, pas plus là à l’aéroport, que cette fois à l’hôpital. Il n’y avait pas qu’elle, il y avait Maddie aussi, puis ce petit être qui avait fait d’elle son nid, petit être qui n’était pas encore au monde, dont Ciàn ignorait encore l’existence. Elle n’a pas voulu lui dire avant son départ, elle ne voulait pas qu’il choisisse de rester avec elle alors qu’il a besoin de ce traitement. Elle attend en silence dans l’aéroport, le soleil brillant de mille feux au travers des fenêtres, insolent et fier. Quand il revient vers elle, son regard se lève vers les écrans et Lee sent que ses yeux se remplissent de larmes. Elle déglutit pour tenter de rester forte, de ne pas laisser les digues de sa tristesse déborder. Elle lui a pris la main, la serrant aussi fort que possible. Elle ne peut pas croire qu’elle va perdre de nouveau ses bras fort autour d’elle, qu’elle dormira de nouveau seule dans son grand lit. Elle ne sait pas le regarder dans les yeux quand il finit par parler, elle aussi souhaite ce happy end, plus que tout… Elle hoche la tête alors qu’elle plonge son regard dans ses yeux noirs qui l’ont toujours fait se sentir bien. Une larme coule sur sa joue, elle se mord la lèvre et hoche la tête. « Je n’ai pas envie de te laisser partir, encore moins maintenant, mais c’est égoïste de vouloir te garder près de moi dans ces conditions. » Elle a du mal à parler et un trémolo dans la voix. Elle relève la tête et regarde ailleurs pour reprendre contenance, sa main toujours dans celle de l’homme qu’elle aime. « Il y a quelque chose que je ne t’ai pas dit… » Elle murmure, ravalant difficilement ses larmes. Elle déteste ces hormones qui la font devenir plus sensible encore, comme si ce moment n’était pas assez triste en soi. Elle revient à son regard et pose la main qu’elle tient dans la sienne contre son ventre… Elle espère qu’il comprendra, ne sachant pas vraiment comment lui dire.

C'était à se demander s'il avait le droit au bonheur. Toute sa vie, il s'était rongé de l'intérieur, face aux regrets, face à l'erreur monumentale qu'il avait pu faire plus jeune. Certes, il avait eu une belle carrière sportive, il était allé au bout de ses défis, de ses challenges sportifs, mais il avait toujours senti ce manque en lui qui faisait qu'il n'était pas, pleinement, heureux. En revenant à Bowen, en quittant le monde du sport, en achetant ce domaine viticole, il avait tout gagné. Grâce à ce domaine, il avait retrouvé Maddie, puis Leewana. Il savait que le chemin aurait été long mais pour une fois, il avait envie de croire en ce rêve d'avoir une famille. Mais ce rêve venait d''être brutalement écarté à cause de son insuffisance cardiaque qui avait pris le pas sur lui. Il n'avait que 38 ans ! Il avait encore la vie devant lui, il avait encore l'envie de la croquer à pleine dents. Il savait que, pour cela, il allait devoir tout savoir sacrifier pour privilégier sa santé. C'était la raison pour laquelle il était là, dans ce fichu aéroport, le cœur gros et les larmes au bord des yeux. Leewana avait voulu l'accompagner jusqu'au bout. C'était à la fois rassurant, à la fois déchirant. Quand il posa ses yeux sur elle, alors qu'elle rebondit sur leur happy end, il s'empressa d'aller essuyer la larme qui coulait sur la joue de la brune. « Je serai toujours là, tu sais. S'il faut sauter dans le premier avion, je le ferai. Je ne t'abandonne pas. » Pas cette fois. Il y avait trop d'êtres aimés qui le ramenaient à Bowen. Il voulait se dire que c'était juste une mise en retrait, le temps de se remettre sur pieds. Il n'avait pas envie de penser au pire, non. Il croyait en l'espoir d'une vie meilleure. Il croyait en sa fin heureuse. Il déposa un baiser sur leurs mains liées, cherchant le contact jusqu'au bout. Mais alors qu'elle lui annonça qu'elle avait une chose à lui dire, ses sourcils se froncèrent, décontenance. « Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-il, attentif. Mais elle ne lui dit rien, Lee. A la place, elle posa sa main sur son ventre, dans un geste évocateur. Un geste qui signifiait tant. Un geste qui laissait croire en un lien plus fort entre eux. Les larmes montèrent aux yeux de Ciàn alors qu'il comprit, qu'il prit la pleine dimension de ce qu'elle lui annonçait, là. « Tu es enceinte... » Ce n'était même pas une question, juste une affirmation. Il était là les matins où elle se levait en trombe, nauséeuse. Il était là quand elle avait l'impression que le moindre parfum, la moindre odeur était décuplée. Il n'était pas un pro de la grossesse, Ciàn, mais cela lui avait mis la puce à l'oreille. Il s'empressa de prendre Leewana dans les bras, la serrant contre lui, laissant ses larmes couler sur ses joues. « J'peux pas partir comme ça, je n'veux pas que tu vives ça encore toute seule. J'ai envie de le vivre avec toi. » Il la relâcha, prenant son visage entre ses mains, ses pouces caressant ses joues avec douceur. « …enfin, si tu veux le vivre, bien sûr. » Il ne savait pas où elle en était, si elle souhaitait le garder. C'était son corps. Sa vie, sa grossesse. C'était elle qui avait les cartes en main. Dans tous les cas, cela remettait tout en question dans la tête de Ciàn.

Le coeur lourd, Leewana ne se sentait pas prête à le laisser partir, à abandonner l’idée d’une famille enfin unie. Sauf qu’elle savait qu’elle ne pouvait pas le garder à ses côtés, que ce serait égoïste de vouloir l'empêcher de partir, il devait le faire, sa santé était beaucoup trop fragile et elle savait, il reviendrait. C’est cette seule promesse qui lui permettait de tenir encore debout, bien que son visage soit inondé par les larmes qui coulaient, traîtresses, qui compliquaient les au revoir, rendant le tout beaucoup plus difficile. Elle voudrait être forte, avoir le courage, mais rien n’y faisait. Pourtant, son homme, il est toujours aussi parfait que d’habitude, essuyant délicatement les larmes qui trace des sillons humides sur son visage. “Je sais que tu ne m’abandonnes pas… On n'a pas le choix pour ta santé.” Elle n’a qu’une envie, se blottir encore dans ses bras, lui dire à quel point elle l’aime, mais elle sait que ca ne leur rendra pas service, ni à lui, ni à elle et puis elle doit lui parler du polichinelle qui a fait son nid en elle. Seulement, elle ne veut pas qu’il refuse de partir en sachant ça, elle s’en voudrait de l'empêcher d’aller mieux, elle a besoin de lui et qu’il retrouve la santé. Elle frissonne quand elle sent les lèvres de son homme contre sa main, elle tente de sourire tristement avant de porter sa main contre son ventre pour lui faire comprendre ce qu’elle devait lui dire. Il n’hésite même pas, comprenant immédiatement et la jeune femme hoche la tete en signe d’acquiescement et la suite, elle l’avait vu venir. Elle se blottit contre lui, le serrant aussi fort qu’elle le peut. Sentant qu’elle risque de se dérober à chaque instant. “Je ne suis pas toute seule, Maddie sera là et je sais que tu es là, même si tu es loin. On pourra s'appeler tous les jours et je t'enverrai des photos pour que tu ne rates rien… J’ai besoin de toi, mais de toi en pleine santé, que tu prennes soin de toi pour mieux revenir.” Elle voulait aussi se convaincre, elle prit le visage de l’homme entre ses mains pour déposer un baiser contre ses lèvres. “Je veux le vivre, je veux qu’on puisse avoir notre deuxième chance.” Parce que c’est un nouveau départ et si elle doit supporter quelques mois de solitude pour ensuite pouvoir en profiter pleinement avec lui, elle se dit que ça vaut le coup.

La vie était si injuste ! Pour une fois que Ciàn goûtait au bonheur, le vrai bonheur, en voyant une famille se dessiner pour lui, sa santé avait décidé de mettre son grain de sel. C'était comme si sa vie entière était faite d'ultimatums : sa carrière ou l'amour, l'amour ou la santé. Des dilemmes terribles. Il pouvait rester, Ciàn, évidemment, mais en acceptant de vivre avec une épée de Damoclès qui pouvait l'arracher à Leewana et Maddie, à tout moment. Il avait eu une première alerte, un premier malaise qui avait affolé son entourage. Il ne voulait pas leur infliger cela, il ne voulait pas leur infliger la peur quotidienne d'une rechute. Il ne voulait pas leur infliger l'image de lui-même s'éteignant doucement. Alors, oui, ce voyage, c'était au détriment de l'amour, mais comme le disait Lee, c'était pour sa santé. C'était pour l'espoir d'un avenir avec elle. « J'aurai aimé être plus solide. » lui souffla-t-il, en essuyant les larmes qui coulaient sur les joues de cette femme qui comptait tant. Et vu ce qu'elle comptait lui annoncer, Ciàn aurait aimé être encore plus solide. En posant sa main sur son ventre, l'australien comprit aussitôt ce qu'elle devait lui annoncer. Elle était enceinte. Elle portait son enfant. Son deuxième enfant. Et encore une fois, il devait partir. Sous l'émotion, Ciàn remit tous ses plans en doute. Il ne pouvait pas partir. Il ne pouvait pas la laisser. Leewana lui sortit les bons arguments, lui disant qu'elle avait besoin de lui, de lui en bonne santé. « Je ne serai quand même pas pour t'aider au quotidien. Il y a Maddie, oui, mais je devrais être là, moi aussi ! J'ai l'impression qu'on me punit d'être parti la première fois. » lâcha-t-il sous la douleur. Il reçut son baiser comme délivrance, le faisant durer comme il pouvait. Elle voulait vivre tout cela, elle voulait avoir leur deuxième chance. « Je serai là, pour toi, pour Maddie, pour ce bébé. Je vais tout faire pour essayer de me remettre sur pieds. » ça ne dépendait pas que de lui, il y avait les perspectives de traitement ou d'opérations Tant de facteurs qui rendaient la chose bien flou. « Maddie est au courant ? » demanda-t-il en reposant sa main sur le ventre de Leewana, le caressant doucement, comme pour établir un lien entre lui, elle, et le deuxième fruit de leur amour.