because it's not you, it's just a dream, it's only fake (ella)

Ça faisait quelques années maintenant, que Woody s’était départi de son chien, Allan Poe. Il avait dû le confier à une autre famille, malgré l’âge du vieux clébard, parce que lui n’était pas en mesure de s’occuper de son chien convenablement. Pas à tous les jours, du moins. Il y avait des jours durant lesquels Woody avait même du mal à se lever de son lit, alors promener son chien matin et soir, ce n’était plus possible. Ça lui avait brisé le coeur, à Woody. Aujourd’hui encore, quand il le pouvait, il allait marcher au Mullers Lagoon, il retraçait les pas qu’il avait si souvent marchés avec son chien. Ils faisaient souvent le même parcours, même si Woody aimait varier de temps en temps, l’emmener en montagne aussi, pour un peu plus de challenge. Il n’y avait pas une fois, pas une, qu’il ne pensait pas à Allan Poe en marchant. D’autant plus qu’au Mullers Lagoon, les chiens ne manquaient pas à l’appel. Il y en avait partout, en laisse ou pas, couché, assis, en train de courir après un Frisbee. Plus rarement, il y avait … des chats. Justement, il y en avait un qui fonçait droit sur lui, là. Pas un chien, non. Un chat. Il courait vers Woody de ses toutes petites pattes qui ne paraissaient même pas tant que ça à travers tout ce poil. Une vraie grosse boule de poils, ouais. Amusé - ce qui arrivait rarement -, Woody s’agenouilla non pas sans peine, et tendit la main vers le chat. « Salut, toi. Qu’est-ce que tu fais là, à approcher des inconnus ? T’es à qui ? » Malgré la question, Woody ne releva pas la tête pour chercher ses humains. Il préférait profiter de ce petit moment de douceur et laissa ses doigts se perdre dans le long poil du chat. Il avait toujours été beaucoup plus chien que chat, Woody. La dynamique n’était pas la même, il aimait la loyauté d’un chien et toutes les activités possibles, aussi. Mais un chat, dans sa condition, c’aurait pu être approprié. Tiens, pourquoi pas. Si ce chat était errant, abandonné ou perdu, et que son propriétaire n’était pas retrouvé … La question se poserait peut-être plus sérieusement.

La Bowery est un lieu qu’Ella adore, énormément. Elle n’aurait pas pu rêver mieux comme places pour s’y installer avec Max, son petit chat grognon. Cette petite boule de poil, ce petit univers à lui-même. Ce petit être qui a peur de tout. Vraiment tout. Mais ce n’est pas grave, Ella, elle est là, elle le protège, elle en prend soin comme pas possible. Et aujourd’hui, elle a décidé de le laisser profiter un peu de l’extérieur de la maison. En effet, la jeune O’Brian prend toujours garde à ses colocataires qui pourraient y être allergiques, et le laisse sortir que lorsqu’ils sont absents. Les portes s’ouvrent pour lui, qui découvrent petit à petit la demeure. Ella le regarde amusée de voir tant d’hésitations devant toutes ces odeurs, toutes ces stimulations qu’il ne connait pas tant que ça. Une idée lui vient alors : immortaliser ce moment. Elle file donc dans sa chambre pendant que l’animal s’amuse à explorer doucement. Elle souhaite alors récupérer un carnet qu’elle a laissé en hauteur. Elle se hisse sur la pointe des pieds. Elle n’est pas grande Ella, tout ce qui est haut peut vite devenir inatteignable. Elle se maudit de ranger ses affaires aussi loin. C’est un petit livret qui regroupe tous les animaux qu’elle a croqué. Or, ce n’est pas sa spécialité, pas ce qu’elle préfère. Ainsi, avec le temps il a reculé de plus en plus loin dans ses affaires jusqu’à se retrouver au sommet de tout. BADABOUM. Beaucoup trop haut visiblement. Ce n’est pas que le carnet qui est venu avec elle mais bien des bouquins et pleins d’autres affaires d’art. Elle souffle. Pff. Ella se retourne vers Max, pour pester contre tout ça. Mais… STUPEUR. QUOI ? NON ! Impossible, elle ne le voit pas. Elle se dépêche donc parcourir la maison en l’appelant. Introuvable. Elle panique. Ce n’est pas possible, il a dû avoir peur du bruit. Il ne doit pas être très loin. Malheureusement, une des portes qui donnent sur l’extérieur est restée ouverte. Ella s’imagine le pire. Ni une, ni deux, elle enfile une paire de chaussures, prend une petite veste et part à la recherche de son chat. Impossible qu’il puisse rentrer par lui-même, il ne connaît pas le chemin. Elle se met donc à chercher à droite et à gauche, à crier son prénom, à regarder sous chaque arbuste, à marcher désespérément. Elle avance sans vraiment regarder le chemin, sans savoir où tout cela l’emmènera. De toute façon, ce n’est pas important, tout ce qu’elle souhaite est de retrouver Max. Cela fait donc quelques temps qu’elle marche sans vraiment prêter attention aux autres, en regardant juste le sol, enfin, en levant les yeux juste suffisamment pour apercevoir un chat. Et l’espoir renaît. Enormément. Elle aperçoit une petite boule de poil au loin, proche d’une personne, et qui ressemble fortement à Max. Elle s’empresse de se rapprocher, puis lève les yeux pour regarder l’individu qui lui tient compagnie. Elle se fige. Quoi ? Ce n’est pas possible… Pas, pas, pas… lui.. Tous les mauvais souvenirs refont surface. Une boule se forme dans son ventre. Elle entend le sang couler dans ses veines tellement son cœur bat si vite. Sa peau devient moite, et des goûtes de sueurs se font sentir sur son front. Elle pense clairement vivre l’enfer. Elle pourrait partir loin, en courant, là. Mais un élément la bloque : Max. Elle doit faire face, elle doit affronter tout ça, pour lui, pour son chat. Elle prend donc une respiration et s’avance doucement. « Sal.. salut… je… je.. suis désolée.. c'est.. c’est.. mon.. mon.. chat » reprend-elle, en bégayant, comme il y a si longtemps, comme lors de cette période où il était maître de tout, et elle s’effaçait. « Mer…merci pour lui » Si elle pouvait disparaître, elle l’aurait fait. Elle se baisse donc pour accueillir Max, préférant largement regarder l’animal, le caresser, et éviter tout contact avec cet homme.

Les doigts enfoncés dans la pelure de ce chat, voilà que Woody était en train de se mettre des idées dans la tête. Il n’avait absolument jamais songé à adopter un chat, premièrement parce qu’il avait toujours préféré les chiens, deuxièmement parce qu’il se serait senti traître de remplacer ainsi Edgar Alan Poe alors qu’il s’était séparé de lui, prétendant ne pas pouvoir s’occuper correctement de lui en raison de sa maladie. Ce n’était pas faux, un chien demandait beaucoup d’énergie, surtout un chien comme Poe. En revanche, un chat … en voilà un qui dormirait encore plus que lui. Le trentenaire esquissa un sourire, c’était bizarre, ce sentiment d’avoir le cœur qui se réchauffait rien qu’en pensant à ne plus se sentir tout le temps complètement seul. Certes, sa sœur Nevaeh vivait avec lui depuis le décès de leur mère, mais même si elle était là, il savait que c’était pour l’aider, pour s’occuper de lui, et pour s’assurer qu’il ne sombre pas. Le chat, ce serait une toute autre présence. Une présence qui, peut-être, pourrait lui apporter un grand bien. Ses rêveries cessèrent assez vite lorsque la propriétaire du chat en question l’interpella, affirmant que c’était son animal. Woody releva les yeux vers la brunette qui semblait extrêmement nerveuse. Sans doute avait-elle eu peur d’avoir perdu son chat. Ou elle était simplement bègue, ça aussi c’était tout à fait possible. « Ah, t’en fais pas pour ça. Il faisait juste être cute. » Lâcha-t-il, d’un ton de voix pas particulièrement avenant, mais pas froid non plus. Woody avait désormais, dans sa voix, une constante lassitude. Ça lui changeait du temps où il était tout le temps arrogant, condescendant, hautain. La jeune femme s’abaissa afin de venir recueillir son chat, que Woody laissa aller. Ce fut donc à lui de se relever, non pas sans une certaine difficulté. Sans équilibre et avec les jambes qui donnaient toujours l’impression d’être en compotes, il ne se mouvait plus si facilement. Loin de lui les années de vélo de montagne et de succès sportifs. Loin de lui au point de ne pas avoir reconnu la brunette, qui appartenait à son passé. « Pas la peine de me remercier, j’ai rien fait, vraiment. » Même qu’au lieu de regarder la médaille ou de penser à l’emmener chez le vétérinaire pour vérifier sa micropuce, il avait d’abord songé à vouloir le garder pour lui-même plutôt que de penser d’abord à son propriétaire qui devait s’inquiéter pour lui. Il n’y avait donc aucun remerciement à faire.

Jamais Ella n’a ressenti une aussi grande peur. Perdre son chat. Pleins de questions tournaient dans sa tête : et s’il se faisait écraser , kidnapper, ou autre ? Elle s’en voulait terriblement, et pensait être la pire des maîtresses. C’est un peu un classique pour elle. En effet, dès qu’elle agit mal ou autre, elle a ten-dance à se radoter qu’elle aurait pu faire mieux, qu’elle aurait dû faire plus attention, qu’elle aurait dû changer ça ou ci.. Elle se refait l’action dans sa tête en imaginant tout ce qui aurait pu être mieux. Mais malheureusement, avec des si, on mettrait Paris en bouteille, et on ne fait que de se faire du mal. C’est ainsi, qu’Ella, paniquée et angoissée au plus haut point retrouve son chat, son petit Max, à quelques mètres de chez elle. Son cœur a arrêté de battre aussi vite, son esprit s’est calmé, tout peut revenir à la normale. Enfin, presque. Max lui réserve une dernière surprise. Pas sûre qu’Ella apprécie ça. En effet, elle le trouve près des pieds de quelqu’un. De quelqu’un qu’elle connaît bien. Et pas dans le bon sens. Woody Rutkowsky. Et en l’espace d’une seconde, son chat réussit à ramener Ella à son enfance, dans son cauchemar. Où son seul refuge était son foyer familial, ses frères, et son cousin. Pourtant, elle n’a pas le choix. Elle doit affronter cette peur pour Max, mais aussi pour elle. Après s’être donc minable-ment excusée, reprenant son bégaiement qui avait quasiment disparue depuis longtemps, elle récupère l’animal dans ses bras. Elle le caresse, son pelage doux la calme légèrement même si la boule dans son ventre reste bien présente. Le tutoiement. Il doit se souvenir d’elle alors. Enfin, c’est ce qu’elle pense. On ne tutoie pas une personne qui nous ait inconnu, si ? Elle se met donc à stresser, elle a peur d’entendre de nouvelles moqueries, de devoir se justifier, ou elle ne sait quoi. Son cœur bat de plus en plus vite, ses mains deviennent moites, mais elle réussit malgré tout à ouvrir sa bouche pour prononcer quelques mots. « Oui…. Oui.. il est b-b-bien cute. »  Parler de son chat lui fait du bien, même si ça reste en bégayant, cela lui permet de se recentrer sur l’essentiel, ce qu’elle aime. Et pas sur lui, et  sur tout ce passé qu’elle préfère largement oublier. Cependant, elle le sent bou-ger. Alors, elle lève ses yeux, attentive à sa prochaine action. Mais, ce qu’elle voit, surtout, c’est ces pas qui semblent hésitants, et étranges. Elle ne comprend pas tout, elle a l’image de Woody sportif qui se permet tout sur tout le monde. Et là, c’est une autre personne. Et sa phrase.. tout est weird ici. Ella ne comprend pas tout, mais son cœur se sert. « Je… je… enfin.. tu.. »  elle s’arrête quelques temps, caresse son front avec une main, et prend une grande inspiration.   « ça va.. ? »  demande-t-elle, les yeux baissés, n’osant pas voir encore son regard en face. Elle aurait pu rien dire, partir loin d’ici, le laisser comme ça et oublier cette scène. Mais quelque chose cloche, et cela la pousse à poser cette petite question, question qu’il ne lui a jamais dit, question qu’elle aurait aimé entendre plus jeune.

Woody se redressa tant bien que mal, puisqu’il n’avait plus aucune raison d’être accroupi, le chat étant maintenant dans les bras de sa maman adoptive. Il plongea les mains dans ses poches, un peu déconcerté par la réaction de la brunette. Elle semblait se désorganiser devant lui. Il comprenait le stress d’avoir pensé perdre son animal mais maintenant qu’elle l’avait retrouvé, Woody aurait imaginé qu’une vague de soulagement la submergerait. À la place, elle semblait s’enfoncer encore plus dans la nervosité. Pourtant, Woody n’avait rien fait de mal, pour une fois il n’avait pas juste gardé le silence de son regard dur, il n’avait pas non plus tenté un commentaire comme quoi elle aurait pu garder un meilleur œil sur son animal. Il avait juste tenté d’être quelqu’un de normal ou à peu près, en la tutoyant même, puisqu’ils devaient avoir à peu près le même âge. Le jeune homme tituba un peu, peinant à garder l’équilibre trop longtemps, dernièrement. C’était d’autant plus difficile que le passage d’être accroupi à debout lui avait demandé pas mal d’efforts, surtout alors qu’il avait essayé de cacher la douleur et la difficulté du mouvement. La jeune femme sembla le remarquer et lui demanda si ça allait. Il fronça légèrement les sourcils, essayant de ne pas laisser la honte gagner tout son être, le rendant sans doute sec et froid. Quand même, il ne put s’empêcher de lâcher un : « Oui, pourquoi ? » sur la défensive. Et, parce qu’on ne change pas d’un jour à l’autre en claquant des doigts, il ajouta aussi : « Et toi ? Are you like … having a stroke or something ? » Il faisait référence au bégaiement et à l’air un peu perdu de la brunette depuis qu’elle avait retrouvé son chat. Ce n’était pas une réelle inquiétude, plus une manière de détourner le sujet de la conversation, en étant un peu déplaisant du même coup. Parfois, c’était plus fort que lui, malgré toute sa bonne volonté de changer.

C’est décidé, plus jamais elle ne laisse Max se faufiler de son regard. Beaucoup trop dangereux. En ef-fet, en plus de lui prodiguer une grande peur qui lui a presque coûté une crise d’angoisse, son chat la met face à lui. Face à Woody. Son ancien persécuteur. La personne qui était la cause de ses cauchemars et de sa timidité. Son cœur bat à la chamade de peur, ses mains sont moites, rien ne va. Heureusement que le câlin de Max est bien présent pour lui apporter du réconfort. Pourtant, quelque chose a changé. Le cerveau d’Ella a dû mal à tout analyser mais elle n’a pas l’impression que Woody est celui de son image. S’est-elle imaginée des fausses choses à son sujet ? L’a-t-elle jugé trop vite ? Non, non impos-sible. Elle ne comprend pas. « tu.. tu as besoin d’aide ? » demande-t-elle hésitante en se relevant, toujours Max dans les bras et avec son bégayement qui revient face à lui. Il ne lui a pas montré que c’est le cas, et lui a même montré une défensive sur sa question. Mais Ella ne peut pas le laisser comme ça non plus. S’il faut, elle l’aiderait quelques temps, pour le remercier pour le chat. Et puis après ça, c’est fini. Il repart dans les démons de son passé. Et ça sera oublié. Il lui est impossible à Ella d’abandonner les gens comme ça, ce n’est pas dans sa nature. Cependant, quelque chose la choque un peu plus. Il lui demande si elle a un soucis avec.. avec.. sa voix.. son bégayement.. Elle se fige, puis recule. Aurait… Aurait-il oublié ? N’aurait-il eu plus aucun souvenir… ? Peut-être c’est parce qu’elle a grandi et a changé, mais elle ne pense pas. Ses frères ne font que lui répéter qu’elle a toujours les mêmes traits, même bouille qu’avant (et ça a tendance à l’énerver). « J-j-je.. non.. » prononce-t-elle, presque les larmes aux yeux. « Ce.. ce n’est pas pas grave… » Elle voudrait se relever et y aller, mais quelque chose la bloque. La peur du passé. La peur de n’avoir rien été pour Woody alors qu’il lui a fait mal. Alors qu’il a fait parti des ses démons -avec d’autre oui, mais il y était.

« Non. » Répondit directement Woody, agacé qu’une inconnue puisse lui proposer de l’aide non sollicitée, ce qui était signe qu’il avait vraiment atteint un fond. Qu’il avait vraiment l’air malade, incapable de se relever correctement par lui-même. Cela faisait plusieurs mois que Woody travaillait sur sa personne et sur son acceptation de sa maladie. Ce n’était pas un processus linéaire, comme dans tout apprentissage ou toute guérison. Il avait fait bien des pas vers l’avant mais il avait l’impression en cet instant précis, de débouler l’escalier. Il était piqué à vif dans son égo, se sentait faible, impuissant. Honteux. C’est probablement pour cette raison qu’il avait sorti une réplique plutôt déplaisante vers cette femme qu’il ne reconnaissait pas. Elle, elle le reconnaissait. Il y avait quelque chose dans son regard, dans ces yeux qui laissaient entrevoir une mince ligne de larmes. Cette émotion ne pouvait jaillir de nulle part, et la lumière étrange habitant son regard depuis qu’elle avait posé les yeux sur Woody, n’était pas anodine non plus. Laissant de côté son mécontentement par rapport à l’échange un moment plus tôt, Woody fronça les sourcils et demanda : « Est-ce qu’on se connaît ? » Autrement il ne s’expliquait pas ce regard fuyant, ce bégaiement, cette attitude particulière et ce corps figé face à lui. Quoique, même en apprenant qu’ils se connaissaient, Woody ne s’expliquerait pas davantage cette réaction. Pour lui, Ella O’Brian était un vague souvenir, une présence lointaine dans sa vie. Il ne pensait pas avoir laissé une marque aussi dure sur elle. Il ne pensait pas que ses mots, à l’époque, auraient un impact aussi grand sur sa vie.

tw : mention d’harcèlement
Sa question, sa proposition d’aide est partie d’un bon sentiment. Elle voulait bien faire, Ella. Cela ne l’aurait pas dérangé, malgré le passé, malgré la douleur. Elle aurait mis de côté tout ça. Jamais elle lais-serait quelqu’un dans une galère, au grand jamais, quelque soit la personne, quelque soit la peine qu’elle ressent. Peut-être que dans des cas extrêmes comme assassin, violeur, ou autre, oui, mais elle n’y pense pas, enfin, elle essaye de ne pas y penser. De toute façon, on ne peut pas prévoir quelque chose comme ça en avance, si ? Ce n’est en tout cas pas le cas de Woody, il a beau avoir été son cauchemar pendant sa jeunesse, il n’est pas déclaré comme tel, ou en tout cas, à sa connaissance. Voir donc une réponse négative, et même sèche lui serre encore plus le cœur. Elle a peur, elle a peur qu’il se moque de sa proposition. C’est complètement irrationnel, mais elle ne sait pas vraiment le gérer. Elle n’a plus jamais vraiment fait face à ses harceleurs depuis.. depuis longtemps. Elle a alors gardé ses vieux réflexes, ses vieilles peurs et ses angoisses. Rien ne part, ni même quand Woody lui demande en retour si tout va bien. Il est évident de voir que ses yeux se remplissent de larmes. Il est vrai qu’elle aurait pu pleurer de joie d’avoir retrouvé son chat, Max, qui est maintenant près de son cœur, tellement elle a eu peur de le perdre. Mais la présence du jeune homme n’aide pas à faire disparaître cette accumulation de larme, au contraire, cela l’accentue. Et puis, la question. Cette question. Elle aurait aimé trou-ver le courage de tout lui envoyer, de tout lui dire, de se faire justice à elle-même. Cela aurait été aussi un peu immature, certes, mais elle en avait un peu le besoin. Elle aurait pu lui parler, lui évoquer la douleur aussi tout simplement , de manière plus mature. Mais, Ella, elle est timide. Ella, elle se bloque, et c’est comme ça. Ca arrive, ça a du mal à sortir, et son bégaiement revient, incontrôlable, alors que tout avait disparu. « De.. » Elle s’arrête, souffle un petit coup, essuie légèrement ses yeux. Ses larmes n’ont pas coulé, non, elle veut éviter ça, justement. «De.. la primaire » finit-elle par dire, en lâchant un léger sourire. Elle aurait pu aussi mentir, Ella, et partir et oublier tout ça, une fois chez elle. Mais non, elle ne sait pas mentir dans ces situations. On ne lui a pas appris. Elle se redresse donc, toujours Max collé contre elle, dans ses bras. Elle aimerait partir, mais elle attend. Elle attend le déclic de Woody. Et peut-être, inutilement un pardon. Un pardon mature.

tw : mention d'harcèlement (point de vue du bully)

De la primaire. Bordel, elle le ramenait à loin, Woody. Il avait une bonne mémoire des événements, mais pas forcément des visages. Il se souvenait, Woody, avoir été un enfant exécrable, un garçon qui s’arrangeait pour gagner dans toutes circonstances, peu importe qui il devait écraser en chemin. C’était avec cette attitude-là qu’il était devenu champion de vélo de montagnes, tassant tout ce qui se trouvait devant lui, avec une arrogance incommensurable et une soif de victoire qu’il n’allait jamais tout à fait étancher. C’était aussi de cette manière-là que Woody s’était fait sa réputation de coureur de jupons, de bad boy, ce qui l’avait tout de même rendu très populaire à l’époque. Il avait sa bande d’amis avec Léo, Liam, Mia, avec qui il faisait les pires coups possibles. Une vraie bande de petits haïssables. Il avait beau avoir eu des personnes un peu plus douces à ses côtés, Woody, comme Sara ou encore Yani, cela n’avait pas suffit à apaiser la bête qu’il était. La bête qu’il était encore aujourd’hui, d’ailleurs, ce que la jeune femme en face de lui avait pu voir en recevant ses répliques sèches et fermées. Ses démons n’étaient plus les mêmes mais ils prenaient encore toute la place. « Désolé, j’te replace pas vraiment. Enfin …  j’te replace pas du tout. » Lâcha-t-il, ce qui était peut-être pire encore que d’avoir eu un flashback sur sa personne. Non seulement il avait massacrée sa confiance en elle, à l’époque, mais il n’en avait même pas eu assez conscience pour s’en rappeler vingt-cinq ans plus tard. « C’est quoi ton nom ? » Sans doute qu’avec ça, oui, le déclic, il l’aurait. Ou peut-être pas non plus. Woody s’attardait au passé lorsque celui-ci le concernait, lorsque celui-ci le pesait. Pour tout le reste, il s’en fichait et continuait à aller de l’avant sans se retourner. Ella O’Brian, elle faisait partie du reste.

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Malheureusement, Ella s’en souvient bien, trop bien même. C’est resté ancré en elle. C’est resté gravé sur son cœur. Après tout, c’est son histoire, c’est ce qui a forgé sa personnalité. On n’est plus la même personne après ça. Plus du tout. Elle en a fait des cauchemars, elle en a eu peur. Ca a forgé sa timidité, ses inquiétudes sur ses envies, ses plaisirs, et ses désirs. Ca lui a demandé des efforts, des grands même. Surtout pour changer. Pour changer ce bégaiement. Ca ne dérangeait pas sa famille, mais visiblement, ça dérangeait certains à l’école. Alors, elle a travaillé dur, elle a fait beaucoup d’efforts, et aujourd’hui ça va mieux. Mais c’est entrain de tout remonter. Tout revient. Tout. Les souvenirs, les peurs, les questionnements. Mais aussi le bégaiement. Devant Woody. Elle ne s’attendait pas à le revoir, surtout pas après avoir eu une frayeur au sujet de Max, situation qui est déjà largement angoissante. Et tout ça, ça empire, maintenant. Elle essayait de lui cacher ses ressentis, mais ce n’est plus possible maintenant. Surtout qu’elle sait qu’il ne s’en rappelle pas. Elle ne comprend pas. Et, ça, ça fait mal. Elle sert donc Max plus fort, il doit en avoir marre à force. Heureusement qu’il est adorable et beaucoup trop vieux pour se rebeller. « Ella… » prononce-t-elle, timidement, légèrement, presque indiscernable. Il lui est impossible de faire des vraies phrases avec sujet-verbe-complément, devant Woody. Alors ça ne sera que des mots, des mots comme ça. Cela la bloque, elle est coincée, par les souvenirs. Ella, elle n’est vraiment pas confortable dans cette situation. Elle reprend donc son souffle. « ..O’Brian » finit-elle par lâcher. Peut-être avec son nom  de famille, il s’en souviendra. Elle espère. Vraiment. Elle ne voudrait pas prononcer les mots suivants la fille qui bégaie. Elle ne veut pas se rabaisser à ça. Non. Elle aimerait fuir maintenant, parce qu’elle ne veut plus avoir honte. Mais ses jambes l’empêchent. Elle est bloquée, figée, dans ce passé qu’elle n’apprécie point.

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Comme prévu, ce n’est que lorsqu’il entendit le nom complet de la jeune femme, que Woody eut le déclic. Qu’un flot d’images, de scènes, de moqueries surtout, lui remonta en tête. Une vague qui le submergea et qui le laissa un peu honteux, face à cette femme qui semblait, encore aujourd’hui, terrorisée à l’idée de prendre la parole face à lui. Face à tout le monde, peut-être, qui sait. Mais sûrement, davantage, face à lui, son bourreau qui ne l’avait jamais laissée parler haut et fort sans qu’il ne l’écrase tout de suite après. Pourtant, Ella, elle n’avait jamais rien fait de mal à personne. Ella, elle avait toujours été douce, ou silencieuse, en retrait. Elle ne parlait que lorsqu’elle était obligée de le faire, et juste parce qu’elle bégayait, elle se prenait des rires en pleine gueule. Tout ça parce qu’elle existait. « Ella O’Stutter. » Murmura l’homme. Woody baissa les yeux en hochant brièvement la tête. C’était le surnom qu’ils avaient trouvé pour cette pauvre adolescente qui s'enfargeait dans ses syllabes. O’Stutter, la fille qui bégaie­. Il soupira, avant de relever les yeux vers la brunette. « C’était que des conneries d’adolescents, tu sais. » Pour lui, peut-être. Mais maintenant, il savait mieux que bien des gens, comment on peut se sentir quand on est différent, quand on a ce quelque chose qui fait tourner les regards et pas nécessairement pour les bonnes raisons. Plus que quiconque Woody détestait être jugé ou pris en pitié en raison de sa maladie. Il n’aurait pas supporté qu’on se moque de lui là-dessus. Il aurait donc dû comprendre à quel point ses comportements d’avant avaient pu affecter Ella, encore aujourd’hui. Il aurait dû comprendre et s’excuser. Ce n’était jamais son premier réflexe, à Woody, de s’excuser.

tw : mention d’harcèlement
Finalement, ce qui est blessant n’est pas tant de revoir Woody, là, des années plus tard, une fois que le mal est passé, une fois que le bien-être a commencé à s’installer dans sa vie, une fois que tout ça, toutes ces moqueries font partie du passé. Non, ce n’est pas ça. C’est surtout revoir Woody et com-prendre dans son regard qu’il ne se souvient plus, qu’il ne sait même pas qui elle l’est. Devoir lui rappe-ler son nom, devoir lui remémorer des souvenirs qui sont pourtant indélébiles pour Ella. C’est dur, ce n’est pas évident de voir cette réalité. Elle aurait clairement préféré ne pas savoir ça, finalement. Elle se dit qu’elle aurait dû partir vite avec son chat. Elle se sent un peu cruche, une nouvelle fois, devant lui, incapable de bouger, incapable de rétorquer quoique ce soit. Elle se voit, il y a maintenant plus de vingt ans. Tout ça, ça remonte. Et il suffit que des mots de Woody. De cette piqûre de rappel. O’Stutter. Elle voudrait maintenant tellement effacer ça de sa mémoire, qu’elle fasse comme si de rien n’était devant lui. Pourtant, c’est impossible. Normalement, ces souvenirs sont moins douloureux, elle a réussi à avancer, elle a réussi à changer, à être plus forte que ça. Elle ne comprend pas trop, ou justement elle ne veut pas comprendre. Elle ne veut pas s’affirmer que tout ça, tout ce qu’elle a vécu l’a forgé, l’a construite, elle vit avec ces souvenirs, avec ce passé, inséparable de sa personne aujourd’hui. Bien sûr qu’elle est heureuse de la personne qu’elle est devenue aujourd’hui, mais bien sûr qu’elle aurait souhai-té qu’il en est de même pour lui. Que tout soit resté gravé dans sa mémoire, comme cela l’a été pour elle. Et cette dernière phrase de Woody, des conneries d’adolescent. Elle aimerait tout lui balancer à la tête, tout lui dire, être honnête. Mais sa langue bloque, sa voix reste coincée dans sa gorge, inca-pable de dire un mot, de lui parler de ce qu’elle ressent. « Je… je… » Elle se dit que ce surnom lui va bien, finalement, elle y est encore, là, vingt ans après, toujours au même stade. Elle s’en veut, elle se maudit, elle est dure avec elle-même de toute façon. Comment peut-elle laisser passer ça, encore une fois ? Elle devrait pas avoir honte, elle n’a rien à cacher, elle est devenue une femme aimée par ses proches, avec des projets, des envies, des désirs, et qui parlent même a une trentaine de personnes tous les jours en même temps. Elle aimerait lui montrer qu’elle est bien forte, maintenant. Et elle aime-rait lui dire, que tout ça, c’est pas grâce à ses connerie d’adolescent. Il doit s’en moquer, certes, mais c’est tellement symbolique pour Ella. « Ca doit être ça, des conneries d’adolescent. » ré-pète-t-elle, finalement, déçue de tout ça, déçue de cette conversation, déçue d’elle d’être encore inca-pable devant lui, déçue de Woody aussi. Attendait-elle vraiment quelque chose ? Non pas vraiment, mais peut-être que des excuses, ça aurait fait du bien. Peut-être que ça aurait réconcilier son passé.

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Honnêtement, Woody n’avait plus tellement envie d’être ici, face à ce fantôme du passé, face à Ella O’Stutter qu’il aurait préféré continuer à ignorer, à oublier. Il n’avait rien contre elle, précisément. C’est ce qu’elle représentait, qu’il ne voulait pas avoir devant lui. Elle lui rappelait tout ce qu’il n’était plus et ne pourrait plus jamais être. Elle lui rappelait une époque durant laquelle tout lui était permis, à Woody, chose qu’on pourrait certainement lui reprocher, d’ailleurs, d’avoir cru que tout lui était dû, aussi. Seulement, même si l’homme n’était pas fier de tout ce qu’il avait fait durant son adolescence, il y avait également une partie de lui qui donnerait tout pour retourner à ce temps-là. Parce qu’il était en santé, avant. Parce qu’il était en voie de devenir champion du monde de vélo de montagnes, avant. Parce qu’il était populaire, drôle et aimé, avant. Parce qu’il était quelqu’un, avant. Désormais, Woody, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il n’était rien du tout. Ella n’aurait pas dû s’en faire autant, qu’il ne se souvienne pas d’elle. Il se souvenait à peine de lui-même. Elle était plus forte et plus accomplie que lui, il n’y avait aucun doute là-dessus. Elle était peut-être celle qui bégayait encore devant lui, mais c’est lui qui portait la canne, c’est lui qui croulait sous la fatigue, c’est lui qui s’effaçait à vue d’oeil. « Mmh. » Lâcha Woody, aquiesçant aux mots que répétait Ella. Il ne savait pas quoi dire de plus. Il aurait pu s’excuser, il aurait dû, oui, mais il n’avait pas la tête à ça. Pour lui, c’était anodin, aussi choquant cela soit-il. Il avait été con à l’époque mais dans sa tête, ils avaient été un paquet, de petits cons. Il ne l’avait pas été plus qu’un autre. « Bon, eh bien … Sur ces retrouvailles inattendues … Attendais-tu autre chose de moi ? » Demanda-t-il, incertain de la raison pour laquelle ils se tenaient encore l’un devant l’autre, si tout ce qui les reliait, était de mauvais souvenirs.