➳ Bal de Miss & Mister Bowen

Elle n'attend rien de sa part, du moins rien dont elle pourrait se languir. Pas de promesse, pas de sincérité plus grande pour elle que pour les autres. Et pourtant, Théia ne peut s'empêcher d'être impatiente. Au bar, elle laisse ses doigts pianoter sans même réaliser qu'elle a encore une fois ce geste devenu un réflexe avant chaque attente trop longue. Elle joue plus avec son verre qu'elle ne le boit, préférant à la place écouter les conversations des personnes environnantes. Elle regarde le couronnement dans un premier temps, puis finit par se tourner vers les autres arrivants. Elle reconnaît Lily, Emrys, Cole, et se sent soudainement rassurée à la vue de tous ces visages familiers. Si Woody ne vient pas, au moins elle ne sera pas toute seule. Mais bien vite, une voix devenue elle aussi familière s'adresse à elle. Elle le sent derrière lui, certaine qu'un pas en arrière suffirait à coller son corps au sien. À la place, Théia laisse ses lèvres s'étirer en un sourire et se tourne afin de faire face à son rendez-vous. « Si tu continues, la rumeur qui circule sur nous risque de paraître encore plus crédible. » Elle hausse un sourcil sans perdre son sourire, n'ayant aucune idée de si il a lu cette fameuse rumeur, ou même si il n'a fait qu'en entendre parler. « Le bad boy qui s'en prend à sa nouvelle proie, si douce et remplie d'innocence. Espérons qu'elle ne porte pas cette robe rien que pour pouvoir attirer son regard. » Sans le quitter des yeux, elle hausse simplement les épaules. Non, ce n'est pas pour lui qu'elle a décidé de sortir cette tenue qu'elle n'avait plus portée depuis si longtemps. Ou du moins, pas seulement pour lui. Après tous ces bas, ces longues semaines où elle optait plus facilement pour un jogging que pour un jeans, Théia a eu envie de relever un peu la barre. Et dans cette robe, elle se sent plus forte. Elle a enfin le contrôle de la situation, d'elle-même.

Théia se tourna enfin afin de faire face à Woody, dont le visage fut rapidement souligné d’un sourire heureux de finalement croiser le regard de la jeune femme de nouveau. À son plus grand étonnement, ce fut elle qui aborda la première le sujet de la rumeur. Il aurait sans doute laissé cela de côté, ne se préoccupant que très peu de ce que les autres pensaient. Après tout, avec toutes les rumeurs qui circulaient à son sujet sur tout et n’importe quoi, Woody avait dû apprendre à ne pas se laisser atteindre par ces insultes et ces paroles insipides. Heureusement, Théia ne semblait pas plus tourmentée que lui par les idées que les autres commenceraient peut-être à se faire, puisqu’elle conserva une mimique amusée même après l’avoir mentionné. Woody haussa nonchalamment les épaules en laissant son regard se perdre autour d’eux, avant de se reporter sur Théia. « Ce sera encore plus drôle de voir leur réaction, à tous, quand ils verront qu’il a bel et bien eu lieu, ce rendez-vous. Ils ne semblaient pas trop y croire. » Et Woody, lui, que croyait-il ? Que ressentait-il face à cette relation à la fois surprenante et déconcertante ? C’était le brouillard, et pourtant, une chose était bien claire : Théia ne serait pas qu’une de plus sur son tableau de chasse. Ce qu’elle serait, par contre, ça il n’en avait encore aucune idée. La brunette reprit la parole en parlant du prédateur et de sa nouvelle proie, et il réprima un rire en baissant les yeux au sol. « Si c’était le but, c’est gagné. » Avait-il déclaré en relevant le regard vers elle. Puis, s’écartant légèrement afin de la rejoindre près du bar, il reprit : « Toutefois … ne te proclame pas si douce et innocente, Hamilton. Tu sais aussi bien que moi que c’est un mensonge … » Leur jeu n’avait rien d’angélique, leur jeu était tout sauf pur. Et ce n’était que le début.

Alors que votre discours prend fin, avec Alfie, tu salues une dernière fois le public afin de redescendre de l'estrade. Ton couronnement était plutôt inattendu mais au final, ça te plaît plutôt d'être élue Miss Bowen même si tu ne sais pas réellement encore ce que ça veut dire. Tout ce que tu sais, c'est que tu risques de faire une très grosse fête à l'appartement pour fêter ça. Et ton petit doigt te dit que tes colocataires n'en seront que ravis. Une fois descendue du podium, tu repères Eden, ce jeune médecin avec qui tu as déjà couché. Deux fois. Et quelque chose te dit que ce ne sera pas la dernière fois. T'approchant de lui, un sourire aux lèvres, tu demandes : « Alors tu m'as trouvé comment ? » Tu déposes un léger baiser au coin de ses lèvres avant d'attraper deux coupes de champagne et d'en tendre une à Eden.

En écoutant le discours de Freja à la longueur plus ou moins semblable à celle du sien, Alfie ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire. Elle a toujours été doté de cet humour qui la caractérise si bien, Alfie n'aurait pu rêver d'une meilleure partenaire pour régner un an à ses cotés sur la ville entière. Après avoir posé pour la photo, il lance un regard en coin à l'intention de sa reine. « Félicitation, Milady. » Il la regarde ensuite s'éloigner, rejoindre un homme qu'il ne connait pas et dont elle semble être proche. Détachant bien vite son attention de Freja, Alfie regarde autour de lui et repère Lily et Perry. Un peu plus loin, August parle avec un rouquin qu'il n'a lui non plus jamais vu -peut-être qu'en tant que Mister Bowen, il serait temps pour lui de revoir un peu qui sont les habitants qui arpentent sa ville- et se promet d'aller le retrouver plus tard. Alfie marche donc en direction de l'ancienne Miss Bowen et de son concurrent pour cette année. « Et voici réunis les deux personnes pour qui j'ai voté sur ces deux dernières années, » lâche-t-il en regardant Lily et Perry à tour de rôle.

Elle aussi s'en fiche, de cette rumeur. Elle en parlé parce qu'elle l'a trouvée drôle, et qu'elle se plaisait à voir tous les amateurs de ragots se soucier de son pauvre petit coeur qui pourrait finir brisé une fois dans les mains de Woody. « J'en aurais été fortement attristée. » Théia ne détache pas son regard du sien, ses paroles cachant, malgré leur exagération, un fond de vérité. Elle l'attendait ce fameux événement, elle savait qu'elle ne pourrait que passer une bonne journée car après tout, chaque moment qu'elle passe avec Woody est un moment auquel elle prend plaisir à s'accrocher. En l'entendant rire, elle se défait bien vite de cet air sérieux qu'elle simulait et sourit, les pupilles brillantes. À son annonce, ce rictus grandit un peu plus. « Plus sérieusement, j'ai vraiment cru que je n'arriverais pas à rentrer dedans, » dit-elle en riant avant d'ajouter « Mais je suis contente qu'elle te plaise. » Elle ne la joue plus provocatrice, Théia est pour une fois on ne peut plus sérieuse. Pendant que Woody s'écarte pour rejoindre le bar, elle s'y accoude et regarde devant elle sans vraiment faire attention à ce qu'il se passe. En l'entendant affirmer qu'elle est loin d'être innocente, elle se mord la lèvre afin de retenir un nouveau rire. « Tu commences à me connaître un peu trop bien, mince. » Elle a toujours aimé leur petit jeu, leurs échanges de réflexions parfois plus semblables à des piques, et parfois plus provocantes. Elle l'a apprécié jusqu'à finir par ne plus vouloir l'arrêter, quitte à alterner plaisanteries et réalité de temps à autres. « Après, je ne suis peut-être pas remplie d'une grande innocence, mais je peux être très douce. » Elle se tourne vers lui, hochant la tête. « Enfin, parfois, » ajoute-t-elle avec un sourire angélique.

Lui aussi aurait été fortement attristé que ce rendez-vous planifié alors qu’ils étaient au sommet du monde ne soit que le résultat d’un moment durant lequel ils avaient eu la tête par-dessus les nuages. Au point d’en perdre le fil. Jusqu’à ne plus voir l’horizon. Il était ravi de savoir que même une fois redescendue sur terre, Théia gardait cette douce envie de le revoir, de vivre ces instants magiques dont ils avaient follement rêvé du haut d’un toit parmi tant d’autres parsemant la ville. « Et moi donc … » Répondit-il donc avec un sourire, se tenant toujours derrière Théia alors que celle-ci tournait légèrement son corps vers lui pour lui faire face. Cette position lui donnait enfin une meilleure vue sur la robe qui épousait ses formes dans une danse bleutée qui finirait par l’hypnotiser. « Si jamais t’as du mal à la retirer, I’ll be a phone call away …» Ajouta Woody après que Théia ait mentionné sa difficulté à enfiler ladite robe. Il s’agissait probablement de la première fois que Woody énonçait directement une idée aussi intime. Malgré le nombre de blagues, de jeux, de piques et de sous-entendus, Théia et Woody avaient toujours conservé ces échanges imagés. Sauf que la ligne qu’ils s’étaient imposée sans se concerter, l’homme n’avait pas nécessairement envie de la suivre. Il s’approcha donc un peu plus de Théia en allant la rejoindre contre le bar. Elle s’y accouda alors que lui s’y adossait, tournant la tête vers elle. « J’te connais pas encore assez à mon goût. » Répliqua-t-il en toute honnêteté, malgré le mince sourire au coin de ses lèvres. Théia demeurait un mystère pour lui, et il se perdait dans son regard énigmatique, à tout coup. « J’sais pas pourquoi, mais j’ai comme l’impression que ce n’est pas ce soir que je verrai ce côté doux dont tu me parles … » Après tout, le but de cette soirée était bien de se mesurer l’un à l’autre dans un contexte autre que sportif, pas vrai ? Et dans la compétition, aucune douceur n’est de mise.  

L'aurait-il vraiment été ? N'aurait-il pas trouvé une autre fille à accompagner ? Si elle le pouvait, Théia se pincerait pour avoir osé penser ça. Non pas qu'elle le croit incapable d'aller vers une autre, mais parce qu'elle ne devrait pas être intéressée de savoir qui Woody fréquente. Encore moins jalouse. Elle ne répond pas, se contentant simplement de tourner vers lui afin de pouvoir lui faire face. Devant son sourire, elle ne peut empêcher à ses lèvres de s'étirer en un rictus. Sa proposition la fait rire et elle baisse un instant le regard en direction du sol avant de relever les yeux vers les siens. « Je n'hésiterai pas, » dit-elle sans y avoir réfléchi avant, d'une voix assurée. Elle aimerait être capable de lire en lui là, tout de suite. Comprendre ce qu'il se passe dans sa tête, ce à quoi il peut bien penser quand il se trouve devant elle. Cependant, elle n'est pas certaine d'aimer ce qu'elle y trouverait. Elle a beau croire en la bonté de Woody, penser contrairement à d'autres qu'il n'est pas qu'un prédateur à la recherche de nouvelles proies, l'idée qu'il ne la considère que comme l'une d'elles suffit à créer en elle des doutes qu'elle ne devraient pas avoir. Elle s'en fichait au début, n'en avait que faire de l'image qu'il avait d'elle. Mais ça, c'était avant qu'elle ne réalise à quel point ce type était capable de l'impressionner. La soirée sur le toit a changé bien des choses, notamment ce que Théia ressent envers Woody. Il n'est plus qu'un jeu, une façon d'oublier le réel. Il est plus que ça. « Je te rassure, le reste n'est pas particulièrement intéressant. » Problèmes de santé, mère partie, père absent, tant de sujets qu'elle espère ne jamais aborder avec lui. « Qui sait quelle tournure prendra cette soirée, » répond-elle après qu'il lui ai confié de ne pas être certain de voir son coté doux ce soir. « Je peux être très douée pour jouer la comédie, » ajoute-t-elle sans le quitter des yeux.

Elle n’hésiterait pas, si elle avait besoin d’aide. Sauf que Woody se doutait fort bien que Théia s’arrangerait pour ne pas avoir d’aide, pas quand il était question de retirer une robe. La jeune femme donnait cette impression – et sans doute était-ce plus que ça – d’être une femme forte, indépendante, qui n’a besoin de rien ni de personne pour aller loin. Certes, elle avait volontiers accepté que Woody devienne son coach sportif, sauf qu’il se doutait fort bien qu’elle aurait été tout autant capable de repousser ses limites par elle-même. Elle regardait droit devant elle et ne déviait pour personne. Du moins, c’était l’image que Woody s’était fait d’elle, peut-être l’idéalisait-il. Il était vrai que depuis leur toute première rencontre, il semblait la mettre sur un piédestal sans trop savoir pourquoi. Elle avait ce je-ne-sais-quoi qui connectait si facilement avec lui. Il allait même jusqu’à espérer que ça ne soit pas qu’à sens unique. « J’n’ai pas été ennuyé une seule seconde, sur tout ce que tu m’as dit de toi sur le toit, l’autre soir. J’peux difficilement imaginer que tu puisses tout d’un coup devenir ennuyante. » Elle était un vent de fraîcheur, Théia, dans la vie de Woody. Cette personne qui représentait exactement ce qu’il avait eu besoin, à ce moment précis de son existence. Sara était loin d’ici maintenant, il comptait ses bons amis sur les doigts de sa main, il sentait la maladie gagner du terrain et lui perdre la force de garder de l’avance. Mais il y avait Théia qui était là pour lui donner cette énergie qui autrement s’envolerait en poussière. « C’est à toi de la décider, cette tournure … C’est toi qui choisiras les défis que j’devrai relever. » Releva-t-il, avant de se pencher tout légèrement vers elle et d’ajouter : « D’ailleurs, qu’est-ce que t’attends ? » Ce n’était pas comme s’ils avaient vraiment un réel intérêt pour ce qui se passait autour d’eux, de toute façon.  

Encore plus formel et courtois que ce qu’il aurait pu imaginer comme rencontre au beau milieu d’un bal du genre, l’homme à ses côtés lui tendit la main et se présenta. August sourit en attrapant la main et la serrant fortement, avant de la relâcher. « August Wojnarowski. » Il n’allait quand même pas le remercier des félicitations, un sourire suffirait, sinon il se sentirait bien idiot de prendre ces louanges alors qu’il n’avait rien à voir dans la réussite d’Alfie. Il était juste fier de son meilleur ami, voilà tout. Au point de vouloir crier à qui voulait bien l’entendre qu’il le connaissait, oui. Cole se tourna vers un serveur lorsque ce dernier passa à côté des deux hommes, et il attrapa deux flûtes de champagne pour en tendre une au professeur d’histoire, qui la prit volontiers. « Merci ! » Il lui demanda alors s’il connaissait un ou l’autre des gagnants, mais ce n’était pas le cas. Leurs verres tintèrent avant qu’il ne le lui apprenne. August prit une gorgée du liquide doré et hocha la tête. « Fraîchement débarqué ici ? » Le questionna August. Après tout, ce n’était pas une énorme ville, on se faisait rapidement connaître.   

Effectivement, ce champagne était très bon. Bien mieux que ceux qu’August pouvait servir à sa rhumerie – mais bon, c’était écrit dans le nom, on y allait pour le rhum et non pas pour le champagne. Toutefois, il servait aussi toutes autres sortes d’alcool pour plaire à un plus grand public. Sauf que là, l’explosion de saveurs dans sa bouche, était inégalable. « J’ai pas tendance à être ennuyé rapidement par les histoires des autres. Après tout, j’suis prof’ d’histoire, je m’ennuierais moi-même sinon. » Blagua August. Mais c’était toujours sa manière de faire comprendre aux autres qu’il avait un grand intérêt pour ce qu’ils avaient à raconter, s’ils voulaient bien le faire bien sûr. Partager des morceaux de son passé, de son vécu ou de son trajet de vie, ça n’était pas toujours facile et il le savait. Là, comme ils étaient deux parfaits étrangers, c’était plus que compréhensible que Cole ne se lance pas dans une tirade autobiographique. « Ah oui, c’est tout récent alors. Vous prenez bien vos marques ? » Demanda-t-il, optant pour le vouvoiement puisque Cole l’avait fait le premier. « C’est toujours un bon début d’assister aux soirées du maire, on ne sait jamais ce qu’elles peuvent nous réserver … » Et il était toujours bon d’être au courant de la fin de ces soirées, aussi, pour être à jour dans les rumeurs qui circuleraient dès le lendemain.  

Visiblement convaincu par l’intérêt d’August, Cole commença à lui raconter son histoire, du moins l’endroit d’où il venait et surtout la raison de sa venue à Bowen, qui n’avait rien d’ordinaire. August haussa les sourcils en l’entendant parler de cette femme, de son départ soudain, et de l’histoire d’amour qui tournait autour encore aujourd’hui. « Elle est partie sans donner de raison mais si vous avez appris pourquoi elle l’a fait, c’est qu’elle en avait finalement, donc ? » Demanda August, intéressé à connaître la suite même s’il ignorait si Cole avait envie d’aller plus loin dans ce récit bien personnel. « C’est sûr qu’en comparant New York et Bowen, on se rend bien vite compte que c’est pas du tout la même game. » Bowen était une petite ville, son centre-ville était minuscule, il n’y avait pas d’énorme gratte-ciel pour venir troubler l’horizon, et puis les trottoirs ne grouillaient pas de gens pressés, non plus. Ça, ça allait totalement à August. Mais pour un New Yorkais, cela pouvait être bien déconcertant, oui. Cole lui demanda alors de lui parler de lui, à son tour. « Et bien, j’suis né ici, mais mes parents sont retournés en Autriche, là d’où ils viennent, quand j’étais gamin. Mais j’suis revenu y’a six ans, seul, parce que l’endroit me manquait. J’regrette pas, j’me suis bien entouré à présent, et j’ai une copine que j’suis pas prêt de quitter. » Lui répondit August, avec un sourire. Il avait résumé sa vie, certes bien des détails étaient laissés de côté, mais tout n’était pas à déballer dans les premiers échanges, tout de même. La base était là, le nécessaire était dit.